Les effets de long terme des pesticides sur des perdrix grises
Si les effets directs des pesticides s’observent assez bien sur les plantes et sur les invertébrés dont les insectes, ils restent souvent indétectables sur les vertébrés dont les oiseaux, tant que l’on n’utilise pas de hautes doses. D’ailleurs, ceci devient souvent un argument des pro-pesticides pour en souligner l’innocuité : « de bons produits qui ne font pas de mal aux oiseaux » ; la preuve est implacable : on ne retrouve pas d’oiseaux morts !
C’est oublier les effets à long terme de l’exposition permanente à de petites doses qui ne sont jamais évalués, y compris pour les autorisations de mises sur le marché (voir la chronique sur ce sujet) ; elles ne provoquent pas de mortalité directe mais peuvent néanmoins avoir des conséquences subtiles et graduelles sur ce qu’on appelle les traits d’histoire de vie :
- le nombre et la taille des descendants,
- la chronologie de la reproduction,
- l’âge et la taille à la maturité sexuelle,
- la croissance,
- la longévité, …
Si plusieurs de ces traits se trouvent altérés, cela aura des conséquences sur la survie individuelle à moyen terme et donc sur le maintien des populations d’espèces déjà très sérieusement impactées par les autres modifications induites par l’agriculture intensive.
Une étude innovante vient d’être conduite, par une équipe française, sur leurs effets sur la santé des perdrix grises, nourries à partir de céréales issues de l’agriculture conventionnelle ou de l’agriculture biologique ont été étudiés en conditions naturelles. Les résultats sont visibles en l'espace de moins de dix semaines.
Les effets sur la santé des perdrix nourries à partir de céréales issues de l’agriculture conventionnelle ou de l’agriculture biologique ont été étudiés en conditions naturelles. En moins de dix semaines, le comportement, l’immunologie et la physiologie des individus consommant des aliments issus de l’agriculture conventionnelle se dégradent fortement.
Cette étude a été publiée en mars 2021 dans Environmental Pollution par des chercheurs du Centre d’études biologiques de Chizé (CNRS/La Rochelle Université) et du laboratoire Biogéosciences (CNRS/université de Bourgogne/UBFC)1.
Exposition aux produits phytosanitaires : des effets sur les populations d’oiseaux
Cette étude tend à démontrer que l’intensification de l’agriculture est à l’origine d’un déclin de la biodiversité sans précédent, notamment chez les oiseaux, et l’utilisation très importante de produits phytosanitaires en est l’une des causes. L’impact des pesticides est reconnu par les effets létaux suite à l’exposition ou l’ingestion de doses massives et/ou de molécules particulièrement toxiques.
Mais ces effets négatifs sont largement sous-estimés par les études qui ne se préoccupent que d’exposition aiguë aux doses plus importantes. Sur le long terme, une exposition chronique à des doses faibles peut avoir des effets tout aussi dévastateurs sur la survie ou la reproduction des individus et donc plus généralement à l’échelle de la population et des écosystèmes.
Une dégradation de l’état de santé des oiseaux nourris aux céréales "non bios"
En nourrissant deux groupes de perdrix grises (oiseaux emblématiques des plaines agricoles) pendant plusieurs semaines, avec des céréales qui se distinguent exclusivement sur leur origine, issues de l’agriculture biologique (sans utilisation de pesticides), ou issues de l’agriculture conventionnelle (utilisation de différentes molécules de pesticides pendant la croissance de la plante), les chercheurs ont pu mettre en évidence une dégradation nette de l’état de santé des oiseaux consommant des aliments "non bios". Ces oiseaux se reproduisaient moins bien et montraient des signes d’altérations physiologiques et comportementales nettes.
Parmi les effets démontrés dans cette étude, leur système immunitaire était sur-exprimé, le stress physiologique augmenté et la coloration des mâles était plus terne, témoignant d’une santé dégradée. Par ailleurs, la corpulence des femelles nourries avec du grain conventionnel augmentait, ce qui pourrait être lié à une perturbation endocrinienne relative au stockage des réserves dans les tissus adipeux.
Un dispositif expérimental innovant
Contrairement à l’immense majorité des études qui testent les effets des pesticides, les molécules toxiques n’ont pas été ajoutées à la nourriture. En effet, cette étude montre que les céréales issues de l’agriculture conventionnelle contiennent des résidus de pesticides et induisent des perturbations observables sur les oiseaux, pouvant expliquer en partie leur disparition dans le paysage agricole.
Pour conclure, cette étude souligne le manque d’analyse des impacts à long terme des pesticides en condition naturelle avant que ceux-ci ne soient commercialisés et démontre que chez les oiseaux, la consommation de nourriture issue de l’agriculture biologique a des effets bénéfiques sur leur santé, renforçant l’approche et le concept de santé environnementale (One Health)2.
Références
1 Feeding partridges with organic or conventional grain triggers cascading effects in life-history traits. Environmental Pollution 278, Moreau J, Monceau K, Crépin M, Derouin Tochon F, Mondet C, Fraikin M, Teixeira M & Bretagnolle V, 2021., https://www.sciencedirect.com/[...] |
2 https://www.francebleu.fr/[...] |